vendredi 24 septembre 2021

Vieillesse de croisière (8)

Pourquoi Elin mendiait-elle un compliment de la part de Séverin... elle qui en recevait si fréquemment de la part des uns ou des autres, au point qu'elle n'en percevait plus la saveur?
C'était paradoxalement ce qui l'avait séduit chez Séverin : il ne s'intéressait pas à elle. Il semblait indifférent. C'était en fait plutôt rare. En général, dès qu'elle remarquait un garçon qui pouvait potentiellement l'attirer, celui-ci immédiatement le ressentait et se transformait aussitôt en banal courtisan. Et tout devenait pour elle beaucoup plus fade, quand ça ne la ramenait pas même à sa condition de "proie" pour les prédateurs masculins.

Elin plaisait. Elle ne vivait donc pas sur la même planète que sa copine Luz, même si elle partageait le même quotidien, et les mêmes fréquentations. C'est ainsi, selon que tu plais ou que tu plais pas, dans une situation donnée, il y a des portes qui s'ouvrent ou qui se ferment, des visages qui s'ouvrent ou qui se ferment, des oreilles qui s'ouvrent ou qui se ferment, des regards qui se détournent, ou se détournent, mais pas dans la même direction.
Luz le constatait, mais ne s'en plaignait pas. Elle voyait bien qu'Elin ne s'en rendait pas compte, et évoquait des problèmes qui n'étaient pas les siens.
"Comment prendre plaisir à manger, si on ne te laisse jamais le temps d'avoir faim?" disait Elin pour exprimer sa lassitude des garçons.
Luz, elle, n'était pas séduisante. Et les hommes, s'ils s'intéressaient à elle, ne songeaient même pas à vouloir la séduire pour coucher avec elle. Luz ne revendiquait pas le droit au plaisir sexuel, mais si déjà elle pouvait mendier une affection sincère et respectueuse, elle en aurait été heureuse. Hélas pour connaitre cela elle devait passer par la case sexe, elle devait faire de gros efforts pour réprimer un profond sentiment d'injustice, au point d'en devenir insensible.


Elin ne percevait pas cela. Ou bien ne voulait pas le voir.
Elle parlait à Luz sans retenue de ses aventures avec les garçons.
Oui, elle aimait avoir l'initiative. Le défi la stimulait.


C'est complexe, le désir.
Elle s'amusait du cliché.
Les hommes désirent spontanément, et courent désespérément après une partenaire qui leur permettrait d'avoir du plaisir. 
Pour une femme telle qu'Elin, trouver un homme qui lui donnerait du plaisir n'était à priori pas compliqué. Mais elle en cherchait un qui pouvait lui donner du désir.
Était-ce cela, le sentiment amoureux? Peut-être. C'était en tous cas ce qu'elle vivait avec Séverin.


Pourquoi alors vouloir obtenir de lui des compliments? La séduction est-elle un instinct de compétition narcissique qui nous pousserait à relever des défis chaque fois un peu plus compliqué ?
Séverin lui semblait être un défi sur lequel elle se cassait les dents.

1 commentaire:

  1. Voilà un texte dont j'ai trouvé une destinataire direct.
    Où comment choisir de vivre non par et pour soi-même, mais dans un sinueux et complexe, confortable système d'emprises diverses et variées... Où encore comment s'enfermer et s'emmurer définitivement soi-même plutôt que de vivre et d'exister ce qui est..., pour et par ce qui est,
    Société quand tu nous tiens!!

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