jeudi 22 décembre 2011

Le cadeau empoisonné du père noël


Je voudrais bien me dire que noël, c'est bien. Que c'est bien, de cultiver notre soif de merveilleux, dès notre plus tendre enfance. D'explorer notre fascination pour la magie, de repousser les limites de notre imaginaire en développant sans cesse notre imagination débordante d'enfant crédule. 
Mais chaque année c'est la même chose. Je ne suis pas très bien.


Enfants innocents, adultes coupables et autres étranges symétries
N'y a t-il pas dans ce déversoir incontournable de bons sentiments, une frénésie artificielle qui révèle le déni dans lequel on vit?
Qu'historiquement, les humains de l'hémisphère nord, au plus profond de l'hiver, dans les journées les plus courtes de l'année, aient ressenti de se serrer les coudes pour se réchauffer devant un bon gueuleton en rêvant d'un au delà féerique, je trouve ça tout à fait normal et même salutaire. En revanche, que l'on ait construit un mythe que l'on cultive au point d'en déconsidérer le réel, ça m'attriste. Je vois cela comme un obstacle au bonheur.
Je ne parle même pas ici de l'aspect consumériste, ni de l'aspect religieux, et tout et tout...
Non non.
Je parle simplement de cette corruption collective qui nous pousse à entretenir un paradis artificiel pour nos petites têtes blondes, qui nous pousse à les maintenir le plus longtemps possible dans l'illusion, comme s'il fallait les préserver le plus longtemps possible, au motif que la vraie vie va les abîmer à jamais.

Cette idéalisation de l'ailleurs imaginaire n'est elle pas pas la partie émergée de la diabolisation du réel? Cette exaltation de l'innocence n'est elle pas le symptôme visible de la dissimulation de notre culpabilité? 
Nourrir le rêve, fuir le réel
Je ne comprends pas quel est l'intérêt de jouer aussi longtemps aux illusionnistes avec nos enfants.
Ou bien est-ce simplement un rite initiatique? Leur impose-t-on une overdose d'idéalisme pour les vacciner, et les formater à vie au fatalisme?
C'est possible. 
Ne serait-on pas tenté, face à la dureté et la complexité croissante du monde, de nous réfugier non plus dans les religions traditionnelles, mais dans les mythologies waltdisnyennes?
La foi superstitieuse, comme bagage pour la vie, pourquoi pas?
Il est vrai que nos superstitions sont notre dernier recours quand nos efforts de pensées rationnelles mettent en exergue notre impuissance. La superstition est le dernier rempart contre le désespoir. Soit.

Pour autant, plutôt que renforcer cela chez nos enfants, n'y a-t-il pas meilleur bagage à leur confier dès leur plus jeune age pour lutter contre le désespoir?

Si on leur donnait le goût de la réalité, plus que de l'imaginaire? Si on les sensibilisait au merveilleux qui imprègne la réalité, plutôt que celui qui sature nos illusions?
La générosité réelle de leurs proches qui se plient en quatre à Noël pour les gâter n'est elle pas plus belle que celle d'un gros monsieur barbu vêtu de rouge qui a à faire à des centaines de millions d'enfants et auprès duquel on restera à jamais anonyme?

Cultiver la foi de nos enfants dans le merveilleux, c'est un peu comme si on s'inclinait devant notre impuissance à cultiver notre bonheur dans ce bas monde et qu'on leur donnait le repli sur soi en bagage, comme seul outil pour affronter la suite. Mais est-ce un vrai cadeau?




Mirages tragiques
Et si on apprenait plutôt à se regarder, à s'ouvrir et à s'aimer? Les formes subtiles et incroyables que prennent les relations humaines ne sont elles pas le plus beau décor qu'on puisse donner à des contes de fées qu'on écrirait soi même?

Qui sait...
C'est en tous cas ce que je me dis, lorsque j'assiste, impuissant, à la dislocation de ce couple qui se déchire de découragement et d'incapacité à communiquer, à se comprendre, à s'accepter. Chacun reprochant à l'autre de ne pas lui apporter la hotte pleine de cadeaux comme prévu, de ne pas être le prince charmant annoncé, de ne pas être la bonne fée, de ne pas avoir de baguette magique.
Chacun reprochant à l'autre de ne pas comprendre ce qui n'a pas été expliqué, de ne pas deviner ce qui n'a pas été prononcé, de ne pas endurer une douleur qui n'a jamais été exprimée, de ne pas ressentir une joie qui n'a pas été partagée...
De ne pas être réellement ce qu'on imaginait.
Foutu cadeau du Père Noël.
Voilà ce que je me dis en les voyant se réfugier chacun de leur côté dans leurs illusions merveilleuses et fuir le réel en se disant qu'il y a des lendemains meilleurs qui les attendent quelque part, comme des oiseaux délaissant l'arbre généreux qu'ils ont dépouillé par leur maladresse et leur précipitation, et repartant chacun de leur côté à la recherche du pommier idéal...