mardi 28 septembre 2021

Vieillesse de croisière (10)

 - Alors, il raconte quoi maintenant ton publicitaire intégral? Il est sorti de sa caserne et il va se marier? Ou bien il t'annonce que tu es le gagnant d'un grand concours et que tu vas être invité sur tous les plateaux médiatiques?

- Il continue son récit. Il parle de son retour à la vie civile. De la façon dont il voit la population. C'est étrange. C'est tout beige.

- Tout beige???

- Oui regarde..

Retour dans la vie civile. 

J'observe mes contemporains à travers le prisme coloré de la spirale de Graves. 

La spirale de Graves, ce n'est pas une substance psychotrope, ni un gadget de réalité augmentée. Juste un bouquin, trop méconnu, qui a irrémédiablement changé mon regard. Au point de lui ajouter des couleurs de façon permanente.

En beige, je devine nos racines animales. Nos réflexes instinctifs. 

C'est quand nous évoluons, solitaires ou en troupeau, dans un environnement qui nous indiffère, mais auquel on consacre toute notre vigilance. Nous scrutons, nous détectons, nous interprétons, nous déduisons. Avant tout pour tirer notre épingle du jeu.
Le mimétisme est notre confort. C'est l'énergie anesthésiante qu'on ressent dans la foule, le confort qu'on ressent quand on se sent conforme dans le sillage de la mode ou à la pointe de la tendance. Mais toujours sur le qui-vive pour soi-même. C'est la satisfaction qu'on ressent quand on a évité le danger, déjoué le piège, flairé le bon coup, deviné un bon plan.
Profiter de l'élan des autres, surfer sur les vagues que la foule déclenche. C'est l'instinct du spéculateur.

Chacun est programmé pour sa propre survie, et chacun est en cela impressionnant.
Chacun est une créature magnifique, mais indifférenciée.
Anonyme, mais égocentrique.
A ce stade, il n'y a que moi et le reste de l'univers.
Mais je ne dis pas "je", car je ne connais pas ce mot. En beige, on ne parle de soi à personne, car on ne parle pas.
Les mots n'existent pas encore.
Je ne connais pas le "je", donc je ne suis pas conscient que je pense, ni que j'existe. Mais je commence à penser pour exister.

Et la longue, à force de coexistence parmi nos semblables, nos formes d'expression nous deviennent coutumiers. On les systématise, on les ritualise, on les codifie. On a inventé les mots, on construit un langage. Les paroles sont les étincelles déclenchées par les contacts entre nos solitudes.
On se sent moins seuls. Le beige devient violet.

1 commentaire:

  1. Spéculer, calculer, oui, c'est une histoire d'algorithmes cérébraux cette manière de vivre...Et ces algorithmes il leur faut bien des lignes de codes pour qu'ils fonctionnent...
    Le violet c'est la Couleur des évêques, Danger! jeter immédiatement ce smartphone dans la première cuvette de WC qui se présente et sortir du rang SVP, Merci!

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Zone de saisie interactive nous permettant d'envisager la co-construction d'un échange d'informations, processus également connu sous le terme de "dialogue" :