lundi 18 octobre 2021

Vieillesse de croisière (18)

Séverin guette la mise à jour. Et cela le rend attentif à chaque espace publicitaire qui envahit son quotidien. La fréquence de mise à jour est irrégulière. Ce qui renforce l'intensité de l'addiction.

Si c'est une opération de manipulation, elle est particulièrement réussie. 

La récompense aléatoire, la technique est simple et imparable. Le cerveau ne peut y résister.

Séverin en est conscient. Mais il ne lutte pas. La curiosité est plus forte que tout. C'était probablement la seule raison envisageable pour que Séverin accepte de renoncer à sa nouvelle intégrité. Comme un ex fumeur repenti qui aurait accepté les cigarettes qu'on lui tendait, non pas par tentation, mais pour les besoins de son enquête.

Pourquoi est-il l'heureux élu, l'unique spectateur d'un tel feuilleton?

Séverin s'enfonce chaque jour dans des dédales d'images de synthèse toutes plus kitsch les unes que les autres. Il s'en va visiter ici un nouveau lieu de vacances paradisiaque artificiel sur une planète inconnue, qui change de la vie dans un palais antique, là un nouveau système de protection cybernétique qui lui promet la sérénité totale dans le monde de demain.

Puis au détour d'une maison tournante autonome, qui restitue la nuit l'énergie cinétique accumulée le jour, Séverin découvre enfin la mise à jour.

Les humains, abimés par la brutalité et la précarité du monde rouge qui met le monde à feu et à sang, vont chercher la sécurité dans le bleu.

Le bleu, n'a qu'une obsession, c'est l'ordre.

Le bleu n'a qu'une priorité : la discipline.

Le bleu n'a qu'une préoccupation, mettre en évidence une cause commune qui nous rassemble, nous unifie, nous transcende.

Le bleu va établir une structure autoritaire visant à canaliser l'expression anarchique de nos égos, pour la faire entrer en résonnance, et obtenir une énergie plus forte encore. 

Le bleu nous fait rentrer dans des cases. Chaque individu met de côté son identité, son unicité, au profit d'un rôle social, de son statut. Le résultat collectif nous galvanise, nous rend fiers et nous transcende, au point d'oublier son égo.

Les individus sont socialement identifiés par leur métier. Les métiers sont socialement identifiés par leur uniforme. Les uniformes sont distingués par des galons. 

Chacun devient le rouage, insignifiant mais indispensable, d'une organisation puissante qui va faire décoller la civilisation dans la mécanique industrielle.

En bleu, nous sommes animés par le devoir, et bridés par la culpabilité. Mais à trop se mettre au service de l'organisation, on oublie que l'organisation est un moyen, et non une fin. 

L'individu au service d'une organisation qui n'est pas au service de l'individu commence à souffrir. Il veut exister. Il se rebelle. Nostalgique du rouge.
Mais au chaos émotionnel du rouge, les lumières de l'esprit rationnel offrent à l'individu une perspective d'émancipation bien plus prometteuse.

Le bleu laisse place au orange.

mercredi 13 octobre 2021

Vieillesse de croisière (17)

 - La noirceur de Séverin déteint sur toi, je te trouve plus sombre, moins vivante. Comme s'il te communiquait ses doutes. Toi qui étais si sûre de toi.
- Ah bon?
- Oui toi qui étais si extravertie, tu n'es plus que l'ombre de toi même, comme on dit dans ces cas là !
- Tu exagères !
- A peine. Regarde tes interactions sociales, c'est factuel.

Les yeux d'Elin s'embuèrent. Oui les chiffres ne trompent pas.

- Je suis peut-être amoureuse, mais ce n'est pas très agréable. J'ai l'impression d'être dans une salle d'attente, sans savoir ce que j'attends.
- Je pense comprendre ce que tu vis. Même si moi je n'ai jamais eu l'occasion de le vivre. Je crois que je le ressens pour toi..

Luz n'insista pas. Elle laissa Elin tranquille. Elle aurait pu ironiser sur le fait que leurs stats pourraient finir par se croiser à ce rythme, mais elle avait senti que ça aurait inutilement blessé Elin.

Luz et Elin avaient beau être les plus proches copines, confidentes, traverser les mêmes décors du quotidien, côtoyer les mêmes personnages, elles n'étaient pas interchangeables. 

Pour autant il était plus facile pour l'une de se mettre à la place de l'autre.
Luz était bien mieux placée pour se mettre à la place d'Elin, que l'inverse.
Souvent en retrait des interactions sociales, Luz avait développé d'incroyables facultés d'observations.

"Celui qui a toujours eu le vent dans le dos ne peut pas ressentir le vent, il ne peut pas percevoir son influence tant qu'il ne l'a pas eu une fois de face."
Cycliste du quotidien, Luz est convaincue que le cerveau humain est programmé pour ne pas percevoir le vent quand il est dans son dos.

Dans sa vie sociale, Luz avait toujours eu le vent de face. Elin l'avait dans le dos. Luz pouvait le voir. Elin, non.

Tel est le paradoxe de la vie sociale. Tous semblables, tous équivalents, mais tous si différents, avec des difficultés de parcours si hétérogènes.
Luz observait sans cesse. Elle n'avait son pareil pour détecter les moindres handicaps sociaux autour d'elle.

Revenait sans cesse à ses yeux celui de la condition féminine, toujours omniprésent, malgré des décennies de dénonciations, de prises de conscience, et de déclarations rassurantes. Luz ne se faisait pas d'illusions avec la domination masculine. Tant que cette domination existerait, la gente masculine resterait mécaniquement dans l'incapacité de savoir que cette domination existe. L'indétectabilité du vent dans le dos.
Le cercle vicieux était bien installé. Luz n'avait plus d'espoir de voir cela changer, et elle se désintéressait des hommes. Ils semblaient tant étrangers à sa réalité à elle.

Le piège du vent favorable. C'est là, la grande faiblesse des classes dominantes. Elles n'ont pas conscience de leurs privilèges, et sont pourtant anéanties à l'idée de les perdre. Elles ont plus à perdre que ceux qui n'ont rien, et elles consacrent une énergie toujours plus grande à tenter de maintenir les inégalités qui rendent leur vie si stressante. 

Quand les puissants sont tétanisés par leur prochain, par les petites gens, au lieu de leur ouvrir les portes, alors ils s'enfoncent dans la méfiance et nous entrainent dans leur sillage.. Quand, au lieu de rayonner dans la générosité et l'ouverture, les classes dominantes s'emmurent, s'enferment dans des forteresses, se réfugient dans des bulles de paranoïa vidéosurveillées, les poches pleines de clés, le cerveau plein de mots de passe, alors la dissociété se substitue à la société.

Oui Luz était radicale. Elle voyait dans l'embourgeoisement un processus dégénératif, la principale cause de l'atrophie de l'humanité

Pour Luz c'est ce phénomène qui nous avait conduit à la grande tragédie humaine, à la décivilisation. 

"Plutôt mourir que changer", "Plutôt disparaitre que s'adapter". Voilà les slogans inconscients qui avaient mobilisé les foules dans les années précédent l'effondrement. Une mobilisation pour l'immobilisme. Le déni, principal symptôme de notre dépendance à la routine, de nos addictions au confort matériel anesthésiant. 

Luz avait perdu la foi dans pas mal de chose, mais n'avait qu'une certitude : son indépendance, sa résistance à toute forme d'addiction était la clé de sa liberté.

Et de sa lucidité.

Alors oui, Luz était assez lucide pour comprendre ce que vivait Elin. Et encore plus pour comprendre ce que ressentait Séverin.

Luz voyait Séverin comme un jeune misanthrope malgré lui. Elle aimait bien son authenticité, intégrité malgré ses penchants un peu intégristes. Elle ressentait, comme lui, une immense déception vis à vis des comportements humains. Sans doute un peu trop idéaliste, comme lui.

Et si aux yeux de Luz, Séverin ressemblait à Alceste, Elin, elle, ressemblait forcément un peu à Célimène. La fraicheur et le pouvoir de séduction de Célimène, mais sans la légèreté. Une Célimène en mode économie d'énergie. Comme si Elin ne voulait pas que son insouciance naturelle revienne au galop.
Economie ou anxiété? Le doute qui précède les choix majeurs? La croisière sera-elle à la hauteur du sacrifice consenti?

dimanche 10 octobre 2021

Vieillesse de croisière (16)

 Elin confia à Luz que Séverin était de plus en plus accaparé par le récit des publicités mystérieuses.

- Il passe son temps à remuer ciel et terre pour tenter d'identifier l'auteur et l'objectif de ces publicités, il n'est plus très présent avec moi.
- Y a du nouveau?
- C'est la troisième mise à jour, le récit se poursuit, toujours très nébuleux..
- Séverin a des pistes?
- Non, aucune. Officiellement, toutes les plateformes affirment en gros qu'il ne peut y avoir de ciblage sur une personne, et que donc s'il est destinataire de ces pubs ça vient uniquement d'un paramétrage de ciblage. Et ils disent que, conformément à la législation sur la protection des données privées, ils n'ont pas accès aux critères de paramètres de ciblage, et n'ont pas le droit de divulguer le nombre effectif de profils ciblés.
- Mais qui a accès à tout ça alors, qui surveille tout ça? Ca ne choque personne ce genre de situation?
- On ne sait pas trop. Il a ouvert une dossier de réclamation après de l'autorité régulatrice de la vie numérique, mais tu t'en doutes, son cas n'est pas prioritaire donc il y aura plusieurs jours physiques de délais. Il prend ça trop à coeur, c'est idiot. Il ferait mieux de se recentrer sur la croisière. Je pense pas que cette histoire de récit publicitaire soit vraiment à prendre au sérieux.

- Vous avez été convoqués pour la croisière?
-  Non, on n'a pas fait les démarches. Je sais pas comment sereinement aborder le sujet. J'ai parfois l'impression qu'il ne veut pas s'engager, je stresse un peu, le temps passe et la fenêtre n'est pas illimitée.
- C'est vrai mais à mon avis, ils surjouent un peu l'enjeu, je pense qu'y aura toujours de la place. J'ai vu que le programme avançait bien, ils suivent leurs objectifs. Ils vont pouvoir passer à la vitesse supérieure..
- Toi tu as fait les démarches?
- Non, toujours pas non plus.
- Tu attends de rencontrer quelqu'un ?
- Non ça je ne l'espère plus. Je suis d'ailleurs même pas sûre d'en avoir envie d'ailleurs.
- Tu attends quoi alors?
- Ben je ne suis pas sûre que ça vaille le coup.. C'est quand même controversé.. On sait pas trop où on va..
- Pour moi y a pas photo, c'est la seule solution possible, et vraiment la plus intelligente. Sans la régulation temporelle, on ne s'en sortira pas.

vendredi 8 octobre 2021

Vieillesse de croisière (15)

Séverin découvre une mise à jour de son message publicitaire.

En rouge, on s'affirme.  Car dans les corrélations que l'on observe en violet, on prend conscience qu'on a soi-même des pouvoirs.

Des pouvoirs physiques, finalement aussi intéressants que les pouvoirs magiques que l'on attribue à ce qui nous entoure.

Du pouvoir.
Le pouvoir d'infléchir le cours des choses. De faire reculer les menaces. De ne plus vivre sous la tyrannie de la peur.

"Je" existe désormais. J'existe. Je suis le maitre de mon existence. C'est moi qui prends en charge mon destin. Je ne suis plus esclave de la fatalité. Je ne suis plus le simple figurant d'un scénario qu'un autre aurait écrit pour moi, je décide de tenir tête à mon destin s'il ne me convient pas.

Alors il faut être fort. Il faut du courage. On se convainc que tout ce qui ne tue pas rend plus fort.
On appelle un chat un chat, et on prend le taureau par les cornes.
Le rouge n'a qu'une obsession : que la peur "change de camp".
Le rouge préfère mourir en héros que survivre comme un lâche.
Il n'y a que deux possibilités : accepter la réalité des rapports de force, ou disparaitre dans la honte.

Le rouge sécurise son environnement par la démonstration de force. 

Le rouge régule son environnement par le rapport de force. 

Le rouge résout les conflits par l'usage de la force.

Pour se faire respecter, le rouge surmonte tous ses revers et ses concessions par des coups de force différés : la vengeance.


L'existence en rouge n'est pas très "paisible". C'est l'état de guerre permanent.
Pour mettre en place un ordre plus vivable, le rouge va tourner au bleu.

lundi 4 octobre 2021

Vieillesse de croisière (14)

- Probablement quelqu'un qui veut vendre un bouquin ou l'enrôler dans sa communauté?
- Ou une opération marketing complètement bizarre.. On n'a pas de piste.
- En tous cas, si le récit reste aussi authentique, c'est même dommage que Séverin en soit le seul destinataire. Tu imagines, si toute l'industrie publicitaire se mettait à nous inonder de récits intelligents, qui nous font réfléchir, qui nous apprennent à mieux nous comprendre, à mieux vivre ensemble ? Au lieu de flatter notre paresse, notre insignifiance, nos pulsions, au lieu de nourrir nos frustrations ? On pourrait envisager un avenir un peu meilleur, non?
- Avec des "si", on pourrait remettre la planète dans son emballage d'origine..
- Ben ça te fait sourire, mais c'est vrai. L'industrie publicitaire est la seule industrie qui n'ait jamais décliné. C'est elle qui brasse désormais le plus d'argent, le plus d'énergie, qui a le plus d'influence sur la planète. C'est la mère de toutes les industries..
On parle de "propagande publicitaire" et ça ne choque personne. Comme si la propagande publicitaire était une propagande bénigne, indolore, dénuée d'idéologie. Sa raison d'être est de nous influencer et elle ne s'en prive pas. C'est la seule industrie lourde et dangereuse qui soit soumise à si peu de règlementations.. 
- Oui mais sans elle tout s'écroule... C'est elle qui irrigue économiquement Internet et toute la sphère médiatique, tu voudrais quoi à la place?  C'est ça, le rouge après le violet? 
- Non, en théorie, non. Mais voilà plus de 100 ans qu'elle insémine en chacun de nous des nouveaux besoins addictifs au lieu de nous aider à progresser vers une vie soutenable, et nous émanciper..
- Je ne te connaissais pas aussi idéaliste, Luz ! Mais aie confiance, le monde a quand même bien relevé la tête, non?
- Ben oui, c'était pas dur, on pouvait pas aller plus bas que le fond du fond, on ne pouvait que rebondir. Mais tu oublies que la crise mettra plus de 100 ans à se résorber, si on en vient à bout. Je ne suis pas sûre qu'on pourra vraiment voir un jour une planète guérie..
- J'aime pas quand tu dis ça, arrête de douter, ça va nous porter malheur..
- Tiens tu vois, tu as du violet dans les idées... Un petit moment de superstition ! Mais oui, excuse moi, tu as raison, il faut être forte pour rester confiante et garder espoir.
- Qu'est-ce qui te rend pessimiste?
- Je ne suis pas pessimiste, mais prudente. Je ne suis pas sûr que l'on soit à la hauteur de l'enjeu. On a construit une civilisation si complexe, si hétérogène, si abimée par l'histoire et les passions haineuses, si écervelée même, je pourrais dire.. que je ne suis pas sûre qu'on puisse maitriser quoi que ce soit pour notre destinée. Notre organisation reste fragile..
- Moi j'ai confiance... Avec la technologie, on fait sans cesse de nouveaux miracles.
- Oui mais comment exploiter ces miracles? Ils sont sans cesse exploités par les uns au détriment des autres. Tout ce qu'on gagne en technologie, on le perd en érosion sociale... On a l'impression que plus personne ne maitrise la complexité de ce qu'on a construit... Regarde, pour l'histoire des publicités ciblées, Séveerin a beau remuer ciel et terre, aucun service d'assistance, aucune autorité de régulation ou de protection ne sont capables de me dire ce qui se passe, et même, aucune n'a idée de ce qu'il faut faire. Impossible d'ouvrir la moindre enquête. Débrouille-toi. Il n'y a plus de responsables, nulle part. 
- Tu es toujours dans l'excès. Il y a quand même des gens qui savent où ils vont et assez puissants pour faire en sorte que ça se passe bien. Personne ne veux revivre le cauchemar de la dislocation.. Et on a beau devenir croisiéristes, ils ont besoin de notre concours aujourd'hui, comme ils auront besoin de nous au retour.
- J'admire ta force de caractère pour rester positive et optimiste. Tu as raison de toute façon. En violet, l'important c'est d'y croire. Et même, juste croire. C'est déjà pas mal.

dimanche 3 octobre 2021

Vieillesse de croisière (13)

Chaque animal qui sommeille en nous a été construit par ceux qui l'ont mis au monde. Dès la naissance, nous interagissons avec nos semblables. La famille est en général la première communauté qui fait de nous des êtres sociaux, dépendants d'une communauté, sans laquelle nos chances de survie sont bien minces.

C'est le grand paradoxe de la vie. Les conditions de "survie" font de nous des créatures animées par des mécaniques contradictoires. Nous sommes à la fois des créatures
indépendantes et sociales, 
égoïstes et altruistes,
autonomes et dépendantes.

Ce paradoxe, il va nous déchirer pendant des siècles, et à ce jour il nous paralyse et nous tiraille plus que jamais.

Chez les humains qui développent un langage de plus en plus riche, la communauté va transformer l'environnement, de façon matérielle mais surtout essentiellement symbolique. Quand on passe du beige au violet, cette communauté devient prédominante, elle nous façonne et nous englobe pour assurer notre sécurité matérielle, mais également psychique.

Cette communauté à laquelle on appartient sans réserve, nous permet de faire face à la terrifiante complexité de l'existence. La tribu, à travers ses sages et ses sorciers qui colportent et enrichissent notre culture commune, expérimente les premières bribes du raisonnement.
Pour nous aider à prévoir l'imprévisible et comprendre l'incompréhensible, elle fait apparaitre un embryon de science : la superstition.
A base de corrélation, analogie, et projections, notre imagination vient animer tout ce qui semble inerte ou irrationnel autour de nous.
Nous allons faire des cadeaux, des sacrifices, des rituels de soumission et des prières, en espérant être récompensés et ne pas être punis par les caprices de l'existence et les malédictions en tous genres. Nous allons confier notre sort à notre bonne étoile et aux ondes bienveillantes.
Et aujourd'hui encore, malgré le déferlement démesuré de sciences et de technologies, ou bien même à cause de ce déferlement suspect et de la défiance que cela suscite, quand nous nous sentons en péril, quand les solutions rationnelles ont échouées une à une, il ne nous reste plus qu'à guetter des signes du côté de nos croyances superstitieuses et prier pour implorer la clémence du destin.

A moins qu'auparavant, une bouffée de courage nous ait permis de transcender notre peur et de nous ait donné l'énergie de faire face à l'adversité, pour prendre les choses en main et ne plus subir, quel qu'en soit le prix.

Le violet fait place au rouge.


samedi 2 octobre 2021

Vieillesse de croisière (12)

Elin était perturbée. L'attitude de Séverin la déroutait. 

Il était rare qu'Elin montre des signes de fébrilité.
En bonne copine, Luz tentait de la rassurer. 

- Séverin a probablement besoin de temps pour se reconstruire.

-  Mais ça commence à dater.. J'ai l'impression qu'il y a autre chose. Comme si il dissimulait quelque chose, qu'il ne voulait pas s'exposer. Comme s'il cherchait à tout contrôler, comme s'il voulait que rien ne lui échappe. Pourrait-il avoir une double vie? 

Il ne s'affiche pas avec moi, il n'a pas vraiment de vie sociale, j'ai l'impression que notre relation est clandestine.

- Mais il l'a pourtant bien déclarée et il a un profil tout à fait conforme.

- Il n'évoque jamais l'avenir. J'ai l'impression que l'enthousiasme lui fait peur. Il ne s'exprime que pour tempérer, infirmer, relativiser, nuancer, atténuer.. jamais pour confirmer, amplifier, célébrer, féliciter.. Comme s'il n'avait confiance en rien.

- La peur de s'engager?

- Peut-être. Pourtant au départ il disait qu'il n'avait rien à perdre, et que c'est pour ça qu'il était devenu croisiériste.

- Il est peut être encore hésitant?

- C'est possible. J'ai l'impression qu'il était militant fataliste auparavant. Il a des zones d'ombres. Et en ce moment, son histoires de publicités piratées, c'est vraiment troublant aussi..

- On est tous un peu déboussolés. Difficile d'avoir des certitudes, difficile d'avoir confiance..

- Quand même, on a fait le plus dur, depuis la stabilisation. Il y a de quoi être confiant ! La régulation démarre bien, on va pouvoir traverser au mieux la parenthèse et retrouver un monde régénérée au retour.

- Oui je sais, il faut y croire. J'espère que ça se déroulera bien, tel qu'ils le disent.. J'envisage en même temps qu'il puisse en être autrement.

- Lui et toi, j'ai vraiment l'impression que vous êtes un peu câblés pareils..