mercredi 15 septembre 2021

Vieillesse de croisière (4)

Cela se passe dans un régiment du sud de la France.
Un jeune homme introverti accepte de jouer à la guerre et de se conformer à tous les rites de virilité perpétués depuis l'Indochine. Entouré de jeunes de différentes origines, il interprète en marchant au pas des chants militaires issus des guerres coloniales. 
Les jeunes d'origine étrangère viennent essentiellement de banlieue, ils sont là pour s'engager. Des fils d'ambassadeurs aussi, qui passeront par des écoles d'officiers. 
Avec cette nouvelle armée de métier, toutes ces nouvelles recrues iront dans les zones du monde où la France aura besoin de sécuriser ses intérêts économiques, bien souvent ses approvisionnement en pétrole. Ou bien dans sa zone d'influence, l'ancien empire colonial.
Les autres viennent des quatre coins de France. Ils ont fini leurs études et font leur service chez les paras, pour faire plaisir à leur père en servant dignement leur pays. Mais elle est loin la ligne Maginot et la défense de la patrie martyrisée, de la Nation assaillie. La Conscription disparait, chacun devient à sa façon un mercenaire dans la guerre économique.

Le narrateur,  idéaliste pacifico-écologiste paumé, lui, s'est retrouvé là un peu malgré lui, par négligence, mais sans doute aussi par une fascination inconsciente... Non pas pour la sensation d'être éjecté d'un Transall en plein vol avec un parachute sur le dos, mais pour l'opportunité explorer ce monde archaïque en pleine mutation. 
Récent lecteur d'Orwell, il voyait la globalisation planétaire unifier le monde sous le joug d'un pouvoir financier invisible. Et là il découvre dans l'organisation militaire la force de l'embrigadement collectif qui le replonge dans 1984.
Dehors le monde continue à se transformer à vue d'oeil. La guerre est une idée ringarde. Un truc de musée. Le grand écart est saisissant, mais le jeune soldat a le sentiment que tout risque hélas de reconverger un jour.


Le soir dans le dortoir il commence à écrire le début d'un bouquin.
Une nouvelle version de 1984, réactualisée, mais pas en 1998. Sans doute 40 ans plus tard encore. 2038 ? Pas forcément, il cherche encore le titre. Et le dénouement, il hésite.
En tous cas le début de l'histoire est limpide. Cela parle de généralisation d'Internet qui va s'immiscer dans tous les recoins de nos activités sociales, qui va envelopper chacun de nous au point de rendre les interactions physiques directes et la promiscuité spatiale marginales. Internet, qui sera notre interface principale avec notre environnement, notre deuxième rétine à travers laquelle on verra le monde. Et qui permettra à nos organisations de contrôler toutes les interactions sociales, au point de vitrifier toute forme de liberté.


Facebook n'a pas encore été inventé, mais le jeune soldat dans son dortoir explore déjà la détresse de celui qui en 2028, perdra l'accès à son compte "Clarté", et par là même, son profil public. Il verra se volatiliser son pedigree numérique, patiemment construit, valorisé par ses pairs à 4 étoiles, qui permettait à n'importe qui de l'évaluer avant d'entrer en relation avec lui. 
Exclusion qui l'écarte de toute activité économique et menace ses moyens de subsistance. Il n'a plus accès à ses avoirs bancaires et ne sait pas ce qu'ils sont devenus. Il ne sait pas vers qui il peut entrer en contact pour chercher de l'aide. Il est subitement plongé dans la clandestinité, la précarité matérielle, l'isolement social, qui le transforme en paria numérique. Interdit d'immersion numérique, le voilà qui dérive à la surface, dépouillé de son identité.
Le scénario tâtonne. Le mystère plane sur la cause de cet "enlèvement virtuel". Un simple pirate, maitre-chanteur qui le réhabilitera contre rançon? Ou une organisation subversive qui cherche à recruter des combattants en les plongeant dans la clandestinité pour les embrigader contre le système ? Peut-être une sorte de chaine de la lucidité secrète, qui vient extraire des âmes innocentes du troupeau lobotomisé pour faire vivre la flamme d'une communauté humaine un jour émancipée? Non, le scénario qui tient la corde, c'est le fardeau de la culpabilité qui se déploie instantanément en nous quand on se sent en proie à une véritable malédiction, et que notre esprit rationnel réussira toujours à justifier.
Après tout, la façon la plus simple de manipuler quelqu'un, n'est-ce pas de le faire culpabiliser?


Le jeune soldat rêveur a une imagination débordante. Mais ce n'est pas un écrivain très efficace. Son scénario patauge. Avec une telle inspiration, il aurait pu devenir Mark Zuckerberg avant l'heure, ou scénariste d'une série dystopique pour Netflix 20 ans plus tard. Mais il lui manquera, selon ses dires, une petite dose de volonté, ou d'énergie, pour aller au bout de son intuition.


Septembre 1999. Dehors, le monde libre l'attend. Avec son manuscrit inachevé, il va laisser derrière lui ses collègues signer leurs contrats d'engagement, en charge du rayonnement de la grandeur du pays aux quatre coins du monde.
Il retrouve le monde civil. Le monde que l'OMC est en train de réorganiser.

Le monde n'est pas une marchandise, un autre monde est possible. Il va retrouver ses copains qui ont réussi à obtenir la requalification médiatique plus honorable. Ils ne sont plus "antimondialistes", mais "altermondialistes". Mais ils resteront anecdotiques dans l'Histoire.
La géopolitique est une gigantesque partie d'échecs qui dépasse les individus.

Organisation Mondiale du Commerce, Organisation Commerciale du Monde.
La World Trade Organization est en train de mettre au pas tous les Etats-Nations, même ceux de l'Occident.
Deux ans plus tard, elle perdra ses tours. Mais pas la partie.


Grace au VAVS, Ellin et Séverin ont suivi cette étrange rétrospective historique. Mais le mystère de cette histoire et de son auteur ne s'éclaircit pas vraiment.

5 commentaires:

  1. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

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  2. Une suggestion d'Hommage à ce probable Humain ordinaire par ce genre d'engagement:
    https://www.youtube.com/watch?v=vmafTYkO654
    (P.S.: c'est le Troll in-susceptible-oxydable_submersible!!!)

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    1. Enfin reconnu,

      Meilleurs vœux au destin de Séverin, souhaitons lui une Bonne Bière

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  3. C'est réjouissant de réaliser que dans une minute s'égrènent 60 secondes.
    C'est triste de savoir que le temps ne peut pas se dépenser sans compter.
    Heureusement, vos deux héros ne manquent pas de ressources pour l'explorer, et les arrêts-minute ne sont pas stationnements interdits.
    À moins que...
    L'histoire nous le dira.
    Merci pour le plaisir de vous lire.

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Zone de saisie interactive nous permettant d'envisager la co-construction d'un échange d'informations, processus également connu sous le terme de "dialogue" :