mardi 26 avril 2011

Clients coupables, marchands intouchables (partie 1)

A propos de la nouvelle proposition du gouvernement français de pénaliser les clients de prostituées pour lutter contre le proxénétisme...
Première réaction, j'apprécie cette démarche pleine de bons sentiments, mais ma réserve est peu ou prou semblable à celle qui est très bien exprimée ici.
Puis en grattant la symbolique de cette perspective, m'apparait une multitude d'éclairages sur l'air du temps.

Le client, un consommateur, comme les autres?

En regardant derrière nous, on sait bien que la prostitution existe depuis toujours, et a depuis toujours beaucoup agité le clivage hommes/femmes. A l'image des asymétries bien connues : domination masculine physique et sociale, désir sexuel masculin généralement plus constant, aveugle et machinal que son équivalent féminin. Historiquement associée à des populations confrontées à de significatives périodes d'abstinence sexuelle (les marins, les soldats...), cette activité s'est généralisée avec l'entrée en lice d'une autre typologie de clients : l'homme marié.
L'homme marié, enfermé dans la relation monogame exclusive du mariage, et tributaire des rares sursauts de désir mutuel qu'il ressent avec son épouse. L'homme marié, tiraillé entre l'appel de son corps et la loyauté morale envers sa femme et la société.
Qui va plus ou moins lâchement se résigner à basculer dans la clandestinité et choisir la voie de l'adultère, ou plus facilement encore celle du commerce illicite. Parfois avec l'assentiment silencieux et plus ou moins résigné de l'épouse.

En inscrivant l'activité sexuelle sous la coupe du mariage, on a résolu pas mal de soucis (hygiène sanitaire, et surtout responsabilité de la procréation) mais on ne pouvait faire autrement que tolérer des soupapes illicites : l'adultère et la prostitution...


Églises et trottoirs, cohabitant partout pour le meilleur et pour le pire...



Aujourd'hui, lentement, avec la libéralisation des mœurs et l'émancipation des femmes, cette asymétrie s'atténue. L'épanouissement sexuel est en train doucement de se découpler de l'idée même de la vie amoureuse, au point que les femmes peuvent s'autoriser des comportements jusqu'ici réservés aux hommes, comme en attestent par exemple la prolifération de sites marchands pour les femmes "couguars", mettant en relation de hommes jeunes (bénévoles à priori) avec des "clientes" plus âgées.

Par ailleurs la société de consommation a également englobé la question des loisirs, puis du bien-être (centre de soins, thalasso, massages..). Il n'y a rien de choquant à se faire papouiller par des gens que l'on paie pour se faire choyer.

Assailli au quotidien par toutes sortes de sollicitations, on fini par s'y habituer. Payer pour vivre du plaisir sexuel est une transgression de moins en moins effrayante, au point que l'on puisse dire aujourd'hui que les clients pourraient être monsieur ou madame Toulemonde.

La tentation de la prohibition

Que ce soit avec perpétuation de l'institution du mariage qui impose aux membres des couples de vaines périodes d'exclusivité sexuelle ou d'abstinence selon l'humeur du conjoint, ou bien avec la généralisation du comportement de consommation commerciale pour subvenir à tous nos besoins assumés, il me semble acquis que le recours à la prostitution a de beaux jours devant soi. Vouloir le bannir par l'autorité, la force, quelle que soit la noblesse de la cause défendue, me semble aussi prometteur qu'instaurer la prohibition pour lutter contre l'alcoolisme. Mais ce n'est pas le seul effet pervers que je vois dans cette piste.

Culpabiliser n'est pas responsabiliser

Il me semble que la loi existante prévoit déjà de sanctionner la plupart des fléaux colportés par la prostitution : détournement de mineurs, abus de faiblesse, non assistance à personne en danger...
Le client est adulte et pénalement responsable. Il est responsable de vérifier qu'il n'a pas à faire à une mineure, ou une personne en grande détresse, sous influence, otage de son mac. Oui le client doit assumer ses responsabilités. Encore une fois, ne peut-on pas mieux faire respecter les lois existantes avant d'en créer de nouvelles?
C'est d'autant plus regrettable qu'en "packageant" ces composantes dans une loi plus dure, on les dilue en déplaçant le problème vers le terrain d'un jugement moral culpabilisant, infantilisant, et donc finalement encore moins responsabilisant pour le client. En perdant en pédagogie, je ne suis pas sûr qu'on gagne en efficacité.

Constat d'impuissance et terrain glissant : la tentation du coupable idéal

Je sais bien que ce qui motive cette volonté, c'est l'idée "d'assécher" le marché, pour affaiblir les proxénètes. Cette approche considère de facto le client en complice passif du proxénète, pour la seule raison qui consiste à dire que si le client n'existait pas, le proxénète n'existerait pas.
Ce n'est pas faux, mais c'est un raccourci révélateur d'une impuissance, le genre de raccourci qu'on n'aimerait pas trop banaliser.
On pourra décréter aussi un jour qu'il sera interdit d'acheter des véhicules d'occasion pour lutter contre le recel de véhicules volés. Puis pourquoi pas considérer que les filles trop désirables devraient rester cachées, car si elles n'existaient pas, les violeurs n'existeraient pas. Et pourquoi pas affirmer qu'après tout c'est un peu de leur faute s'il y a des viols?
Face à la jeune fille aguicheuse, le père de familles graveleux qui va aux putes peut revendiquer haut la main la meilleure tête de coupable idéal. Quoi qu'il en soit, aucun des deux ne peut être tenu responsable des crimes du violeur ou du proxénète.
L'impuissance provoque souvent des glissements de responsabilité qui nous font trouver des coupables au mauvais endroit...

Cette histoire me fait prendre conscience que la tentation de faire porter la responsabilité au consommateur en bout de chaine n'est pas spécifique au cas de la prostitution, et c'est pourquoi ce billet en annonce un suivant, plus global, sur le thème de la marchandisation de l'activité humaine....



NB : afin de prévenir toute spéculation pouvant rendre le débat sensible sur ce genre de sujets polémiques, je précise que si mon raisonnement fait apparaître quelques biais dans un sens ou dans l'autre, je ne pense pas qu'il puisse être imputable à mon vécu personnel. Je me sens assez neutre sur le sujet...Ok je suis un gars, mais Je n'ai jamais été ni client, ni prostitué, ni proxénète :-) Plus sérieusement je n'ai jamais été attiré par les relations tarifées, je suis plutôt heureux de n'avoir jamais eu besoin d'y recourir, mais n'y accorde aucune fierté particulière.

3 commentaires:

  1. je vais le lire... et je couperais tout ce qui peut autour de moi m'interrompre ^^
    en plus tu as déjà mis la partie 2...
    bonne journée

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  2. @dita : quel courage, de si bon matin ! :-)
    Chapeau bas !

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  3. j'ai perdu mon deuxième commentaire;(
    je recommence...
    en gros !
    répression, répression, répression... effectivement le proxénète ne deviendra pas un honnête homme. c'est plutôt quand même lui "le problème ".
    un peu comme la drogue, on s'attaque au petit revendeur ou aux consommateurs et pas au gros trafiquants.
    Comme souvent le nerf de la guerre, reste l'argent.
    La prostitution est utile et elle l'a toujours été.( je sens que je vais faire hurler mais si quelqu'un veut débattre, je veux bien!)
    voilà c'était un petit résumé de mon commentaire perdu entre lac et montagne un soir de pluie ;)

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Zone de saisie interactive nous permettant d'envisager la co-construction d'un échange d'informations, processus également connu sous le terme de "dialogue" :