jeudi 17 janvier 2013

Papier et identité (pauvres enfants)

Fut une époque, outre-atlantique, les noirs ne devaient pas s'asseoir aux places réservées pour les blancs dans les bus. Sans doute, quand il a été question d'abolir cette discrimination, des esprits chagrins ont pu déclarer à l'époque qu'il ne fallait pas toucher au fonctionnement des bus, que ça ferait perdre ses repères à toute la société, et que ça serait la déchéance de l'humanité. Et sans doute des esprits chagrins-mais-généreux-car-pas-racistes-quand-même ont déclaré également que l'on pourrait inventer d'autres bus, avec un autre nom, où les noirs pourraient voyager aux places qu'ils veulent, pourvu qu'on ne touche pas aux bus traditionnels. 
Je ne sais. 
Mais les discussions ne devaient pas toujours être lumineuses à ce moment là, aussi.


Il semble que cela devienne une tradition en France. En hiver, pour se réchauffer, on organise de grands débats nationaux nauséabonds sur notre identité. Sans doute notre racines rurales. L'odeur du fumier nous donne l'impression de nous réchauffer. Après l'identité nationale qui est la notre et qu'on partage pas avec le premier bougnoule venu, voici qu'on disserte sur notre belle identité hétérosexuelle qu'on veut pas partager avec les homos, broutte-gazon et autres sodomites
Il en faut des ressources, pour rester positif, tolérant et bienveillant dans ce pays.
Il n'y a pas si longtemps, la France se targuait d'être un pays "humaniste". Aujourd'hui elle pourrait se targuer du contraire. Mais le contraire d'humaniste, c'est quoi?

Je n'ai pas vraiment la réponse. Ou je n'ose pas la formuler. 

Sans doute est assez basique. Ou profondément inconscient. Les individus qui se sentent appartenir à une majorité, grâce à leur identité, ne supportent pas d'y accueillir les minorités... Car une majorité sans minorité perd de sa superbe et cela dévaloriserait leur identité. Comme si on touchait à leur patrimoine. On proposerait de dévaluer l'argent de toute une vie placé sur leurs comptes d'épargne qu'il ne réagiraient pas différemment.
Voilà qui fait relativiser. Tout ça pour un pauvre acte de mariage. Un bout de papier.
Qui résume finalement bien la situation. Dans une vieille démocratie en déclin, la majorité a des problèmes d'identité, les minorités ont plutôt simplement des problèmes de papier.

Et me voilà, en train de me prendre la tête un soir, après notre séance hebdomadaire de percus au village, avec un mec qu'est pas homophobe vu que son fils a des copains pédés même qui en a un qui est déjà venu dormir à la maison parce qu'il chialait de s'être fait larguer par son mec avec lequel il s'est rabiboché le lendemain. Et d'enchainer "Mais pourquoi ils viennent nous faire chier? Ils ont déjà le PACS, on peut leur inventer une union civile, mais pas le mariage".

Un peu assommé par cette inversion des rôles aussi subtile que le coup du chien noir de Thierry Le Luron, j'ai mobilisé mon énergie pour contenir la bouffée de colère qui m'est montée au cerveau. Je ne lui ai donc pas fait remarquer qu'en l'occurrence, les 1 350 000 manifestants (à 1 million près) du champs de mars qui venaient troubler l'ordre public étaient plutôt du camp d'en face, et que la mesure était au programme du président élu à peu près démocratiquement, mais admettons.

J'ai essayé de rassembler tout de suite mes idées, puis pas du tout à la façon de George Clooney, je lui ai dit que je n'approuvais pas son message, et j'ai répliqué direct en lui assénant que mon frère était pédé, histoire de planter le décor s'il voulait que nous en venions aux mains. Forcément la bienséance lui a commandé d'adoucir le ton.

Je lui ai demandé pourquoi le mariage devait rester inaccessible aux homosexuels.
Il m'a dit en gros que parce que derrière, c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres... Que forcément après ils revendiqueraient le droit d'être parents, etc, etc.. 
J'ai préféré l'arrêter avant qu'il finisse par m'évoquer l'apparition sur la planète d'enfants difformes consanguins et mutants, ou sans (re)père, bref des enfants désorientés prêts à sombrer dans le terrorisme.
En parlant de mes enfants qui adoraient leurs deux oncles, j'ai affirmé de mon côté que d'après les témoignages, ce qui faisait souffrir les enfants d'homos, c'était pas le fait de ne pas avoir de parents des deux sexes, mais de sentir le regard plein de rejet que les homophobes posent sur leur famille. Que tout enfant a le droit d'avoir des parents reconnus et respectés par le reste de la société. Que toutes les craintes exprimées sur le sort des enfants sont des prophéties auto-réalisatrices puisqu'elles résultent de la stigmatisation de ces enfants par leur environnement, révélatrice des angoisses, phobies et autres blocages psychologiques de la majorité hétérosexuelle, et non de leurs parents qui sont des humains comme les autres.
Je lui ai dit de rester confiant, qu'il finirait par s'habituer, que la normalisation entraînerait une banalisation de ces situations et le débarrasserait donc de sa lecture sexiste pour structurer le monde et de ses fantasmes angoissants sur l'homosexualité.
Il n'était naturellement pas d'accord, mais peu importe, je ne voulais pas le convertir, ce n'était pas la peine, simplement je ne voulais pas reculer d'un pouce face à de tels propos. 

Prochaine étape. Envisager la discussion avec mes beaux-parents qui étaient dimanche sur le Champ de Mars.
Dommage, leur dernier fils est hétéro, je ne pourrais pas leur dire, comme le suggère Maitre Eolas, "A tous ceux qui ont manifesté dimanche: n'oubliez pas qu'un jour, vous devrez peut-être expliquer au mari de votre fils que vous y étiez"...

Ou bien je leur évoquerai Rosa Parks. En leur rappelant cette belle réplique de Lilian Thuram, footballeur noir mais éclairé, citant Louis-Georges Tin, pour dire qu'en matière de discrimination, noirs et homosexuels sont dans le même bateau, mais les noirs ont quand même l'avantage de ne pas avoir à l'annoncer à leurs parents...






13 commentaires:

  1. Très bel article. La normalité finit toujours par s'installer. En fait je réalise que lorsqu'on ne parle pas d'économie je crois qu'on pourrait s'entendre sur bien des sujets ;-)

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    1. Merci Bello, et tu verras, même sur l'économie, tu verras qu'un jour tu tomberas d'accord avec moi :-)

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  2. très bel article.
    je trouve le débat tellement d'un ancien âge que j'ai du mal à le poser.

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    1. Oui, on est désarçonné de voir ressurgir de telles réactions qu'on croyait appartenir au passé...

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  3. Merci pour l'article! ça change des invectives du moment... purée comme y a du chemin à faire en France!

    En même temps ça me fait penser aussi à, pêle-mêle, l'avortement, le Pacs,l'abolition de la peine de mort: levée de bouclier, on va perdre notre VRAIE (???) nature, gnin gnin gnin... Vivement le 29.

    Et merci aussi pour les liens (même si bon, j'ai du ménage en retard, maintenant!)

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    1. C'est vrai Anne, on a l'impression que ça se répète, mais en fait ça va dans le bon sens : lors du pacs ils disaient que c'était la fin de tout, là ils plébiscitent le PACS pour ne pas toucher au mariage, la prochaine fois ils défendront le "mariage pour tous" quand une nouvelle revendication apparaitra :-)

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  4. J'aime bien ta comparaison avec les bus pour noirs et blancs. Et j'adore ta conclusion. :)
    Pour le reste, peur ou connerie, je ne sais pas trop...

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    1. Merci Pastelle.. Il est clair que les deux s'alimentent mutuellement, ce qui rend les vraies causes assez inextricables.. Peur et connerie font penser à deux soeurs siamoises qui se renouvellent en permanence sur le chemin de la civilisation... :-)

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  5. Vue d'ici, le Québec

    http://www.pressdisplay.com/pressdisplay/fr/viewer.aspx

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    1. J'arrive sans doute trop tard, ton lien pointe sur un portail très fourni, du coup je ne sais pas ce que tu voulais nous faire lire... :-(

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    2. Et bien vraiment désolé. Ce site est finalement nul puisqu'il ne maintient pas les liens dans le temps.

      En voici un autre sur le même sujet
      http://quebec.huffingtonpost.ca/2013/01/11/montreal-homosexuels-francais_n_2455592.html

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  6. Vous exprimez en gros ce que je pense. Le changement des conventions, des habitudes, de repères déclenchent la peur de l'inconnu et suscite forcément des peurs monstrueuses comme celles que l'enfant connaît la nuit venue. Il suffit que la lumière se fasse pour que les monstres s'enfuient et laissent la place à la réalité bien moins offensive de jour que de nuit. On parlait encore il n'y a pas si longtemps d'obscurantisme pour parler d'ignorance et l'on voit bien que la nuit (au sens : manque de lumière) nuit à la réflexion et il faudrait ressusciter ce siècle, ce merveilleux XVIIIè français pour ramener sous sa lumière ces débats. Au lieu de s'exprimer avec la violence et le manque de mesure de deux belligérants face à face, il faudrait réfléchir posément, et là encore, réfléchir c'est invoquer/renvoyer la lumière... Refusons une fois pour toute les ténèbres qui fausse notre capacité de penser librement !

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    1. Oui la peur est une émotion nécessaire pour la survie, mais mauvaise conseillère pour la vie, car elle nous confine dans l'irrationnel, la suspicion et la superstition... Quand on parle d'ailleurs de comportements "contre-nature", n'attend-on pas implicitement un châtiment de la nature pour nous punir de notre déviance? On voit bien ici à quel point la croyance et la superstition imprègne notre regard sur nos pairs...

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