mercredi 28 avril 2010

La meilleure façon de ramper

Il est des combats qui ne grandissent pas l'Homme. C'est ceux contre lui-même.
A la lecture de ce billet de Françoise Simpère, les souvenirs remontent et se ramassent à la pelle. Pas des souvenirs d'anciens combattants, non. Et pourtant.



Ne me demandez pas comment je me suis retrouvé là bas, je ne le sais pas moi même. En tous cas quand j'y ai débarqué, j'ai cru que la parodie des scènes les plus caricaturales de Full Metal Jacket étaient une sorte de bizutage, à prendre au second degré. Mais non, ce film était leur référence culturelle, ils en occultaient juste la dimension anti-militariste..
C'était en 1998. Dans un régiment de l'armée de la république. A l'entrée du régiment, les consignes de sécurité indiquaient les visiteurs qui n'avaient pas le droit de rentrer dans l'enceinte militaire. Dans la liste, figurait Amnesty International.
En 1998, dans l'armée de la république, les derniers contingents d'appelés continuaient à apprendre des chants guerriers où l'on y cause des fellaghas à terrasser. Il n'y a pas de raison que ces chants aient évolué en 2010.
En 1998, les théatres d'opération extérieures de l'armée de la république coïncidait comme toujours avec les pays amis de Total la France .

Ce sont là quelques détails qui n'apparaissent pas dans la série documentaire, par ailleurs extrêmement riche, instructive et incontournable,  diffusée sur France 3 il y a quelque temps : La meilleure facon de marcher, réalisé dans le 1er Régiment de Chasseurs Parachutiste de Pamiers, celui-là même dans lequel j'ai été, en 1998, un petit soldat de plomb parmi d'autres.
Pour le reste, aucune exagération, romance ou mise en scène. Tout ça restitue fidèlement tout ce que j'ai vécu. Scène pour scène.

Certes du transall, il manque l'odeur inoubliable du mélange de kérosène et des flatulences des soldats de tous grades, provoquées par l'appréhension éternelle du saut. Mais c'est bien la seule subtilité manquante. Cette visualisation m'a fait revivre ces calvaires et autres exploits plus ou moins caricaturaux, pathétiques et glorieux, comme si j'étais de l'autre côté du petit écran.


Le reportage présente néanmoins une distorsion visuelle qui peut s'avérer trompeuse pour le spectateur distrait. Cela réside dans le choix des personnages : dans la réalité la part des filles qui s'engagent est vraiment quand même beaucoup plus faible que la composition de l'échantillon scruté peut le laisser supposer. Et cette composition masque la question de l'origine sociale et ethnique de ceux qui s'engagent.
Dans la présentation très intéressante de l'auteur du documentaire, celui-ci explique bien comment s'est dessiné la trame de son documentaire et le choix des personnages, c'est à lire. Mais il demeure la phrase énigmatique suivante: "J’aurais aussi pu me rendre dans le CIRAT de Seine-Saint-Denis mais c’était prendre le risque de tomber dans le cliché des jeunes de banlieues qui s’engagent dans l’armée..."


Position curieuse : si pour ne pas tomber dans le cliché, on doit occulter l'image, je crains qu'on obtienne le cliché inverse. Craignait-il de faire l'apologie de l'armée qui remet dans le droit chemin les brebis égarées?
Ce n'est pas quelque chose qui me semble à craindre. Ou bien il faut croire à cette fable. Cette forme d'éducation rend surtout service aux bourgeois, soucieux du maintien de l'ordre naturel des choses, pas aux jeunes. Passer l'uniforme à un jeune ne le sauve pas. Çà le condamne.

Moi ce que j'ai observé là bas, c'est que les plus fréquents à rester au bout des dix mois avaient un physique ne correspondant pas au "prototype" du français de souche, ou bien une façon de s'exprimer revendiquant leur appartenance à la cité. Et salivaient devant la solde promise au soldat comme une récompense inespérée. Est-ce un cliché indésirable, trop facile ou je ne sais quoi d'autre, dans un documentaire télévisuel?
S'engager chez les paras était pour eux une aubaine. Nourris, logés, et payés bien plus que le smic, ça permet de s'acheter des playstation, du shit, voire même prendre un crédit pour une bagnole sportive. L'avenir était pour eux quelque chose de trop lointain pour s'en inquiéter. Et ça fonctionnait, en quelques mois, les insoumis de la cité devenaient des pitbulls dévoués, des mercenaires de la république.

De la chair à canon, taillable et corvéable à merci, dans la droite lignée des armées du siècle précédente. Mais une armée professionnalisée.
Pour certains de ces mercenaires des temps modernes (coup de chance?), en se faisant "pecho avec du shit", ils finissaient en zonzon, avant d'être condamnés à retourner pour toujours dans le civil, cette zone de non droit, cette jungle dangereuse, comme me le décrivait mon capitaine le jour de mon départ.

Au début je trouvais son image de jungle absurde vis à vis de la dureté bête et méchante du monde militaire. Mais finalement je commence à infléchir mon jugement. Ce n'est pas faux, un monde qui confie à certains de ses enfants, les plus fragiles socialement, la noble et lucrative mission professionnelle de tuer et se faire tuer pour garantir le bon équilibre ordre des choses, n'a rien d'un havre de paix. Ca fait même penser à un meilleur des mondes tragique. Cynique. Le notre.

4 commentaires:

  1. Merci de ce témoignage de première main. Ce qui me frape dans l'armée, c'est sa capacité à raboter tout ce qui dépasse. Je connais plusieurs soldats, des hommes plutôt sensibles et intelligents. Mais dès que j'exprime le moindre doute sur l'armée, terminé. Ils ne veulent plus entendre, comme si, au fond, ils avaient peur de ce qu'ils peuvent entendre. Sauf un jour, un général proche du général Bigeanrd(tiens je vais en parler en com' sur mon blog) qui m'a dit: "On s'interroge sur les raisons de telle ou telle bavure ou tel comportement inadmissible dans l'armée. La réponse est simple. Il y a des cons chez les gradés, dans la même proportion que dans la population civile, la différence étant qu'ils peuvent imposer leurs conneries à toute la troupe. Mais comment dire "le général Untel est un con?"

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  2. Les militaires... le sujet est inépuisable et ton billet est remarquable...

    Et la guerre... la guerre, moyen de conquête, moyen de défense, moyen de régler les crises, la guerre au service des intérêts financiers, au service de désir de domination d'un état sur un autre, etc. mais toujours moyen.

    Ce qui est nouveau, c'est que la guerre est devenue un marché en elle-même. Le marché des armes est juteux et actuellement l'investissement le plus sûr. Des armées privées se vendent très cher aux Etats. La guerre devenue secteur industriel.
    La mort comme marchandise privilégiée de l'idéal économique libéral actuel... ça me terrifie...

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  3. En 1998, j'echappais au service... Parfois je regrette l'expérience pour ce qu'elle m'aurait amener en connaissance du cœur des hommes et de leur capacités tant à obéir qu'à justifier leur obéissance...
    Cela dit , en ces temps de rigueur post-crise, le budget de la défense reste le premier, Alpes comment s'étonner de l'importance du troufion? Il ennfausrz toujours pour entretenir le matériel!
    Mais contre qui???

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  4. Interessante reflexion sur le rôle réel de l'armee dans notre société... et, en négatif, sur ce qu'elle n'assure plus depuis que la conscription n'existe plus

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Zone de saisie interactive nous permettant d'envisager la co-construction d'un échange d'informations, processus également connu sous le terme de "dialogue" :